Chapati Holiday – French version

Chers amis,

L’hiver arrive. Bientôt, ce sera la saison des fêtes. è à

Nous, les No Border Kitchen sommes encore très actifs sur Lesvos, essayant toujours de fournir, autant que nous le pouvons, un peu de ce qui est le plus important pour nous: la dignité humaine.

Durant les vacances, les familles et les communautés partout dans le monde, toutes les nationalités et les religions célebreront cette periode de fin d’année. 

Bien que différemment interprété et exprimé, nous célébrerons la commune expérience humaine qu’est l’amour. 

Nous vous invitons à celebrer tous ensemble avec nous sur Lesvos, comme une seule et même famille, le 24 décembre, juste à côté du camping bien-aimé de nos amis, sur l’ancien site de #meilleurs jours pour Moria#. Le temps d’une journée, nous voulons redonner à chacun sa dignité humaine, sans exception aucune. 

Nous avons tous été sur cette île pour plus ou moins de temps, ayant nos propres expériences, et chacun d’entre nous a une histoire unique à raconter, que nous soyons un de ceux venant du monde entier et essayant d’accéder  à une meilleur vie, ou un des milliers de bénévoles, avocats, médecins, infirmières, policiers ou pompiers pour le gouvernement, les ONG ou indépendants, tous habitants de cette île, et essayant de faire quelque chose pour s’aider les uns les autres dans cette situation. 

Jusqu’ à ce jour, No Border Kitchen continue de fournir quotidiennement des centaines de repas. Nous essayons de satisfaire tous ceux qui nous sollicite, de la meilleur façon possible selon nos moyens le moment donne. Les vacances arrivent, nous voulons créer un moment festif, #le Chapati-day#, pour tous ceux coincés dans cette situation. Mais pour cuisiner pour 6000-7000 personnes, nous allons avoir besoin d’aide.

Ce jour n’aura rien à voir avec la politique, la religion ou les idéologies. Il s’agira simplement de partager et prendre soin les uns des autres, comme nous sommes sensés le faire dans ces moments de fête. 

Nous serions très reconnaissants d’avoir votre appui pour cette occasion. N’hésitez pas à contribuer de quelques manières que ce soit: argent, nourriture, énergie, infrastructures, informations. Et si vous pouvez vous déplacer et venir partager avec nous ce moment particulier, cela serait la plus grande des contributions. 

Si vous connaissez quelqu’un  qui  pourrait et voudrait nous aider, n’hésitez pas à lui faire parvenir ce message et à le partager au maximum. 

Ci dessus, vous trouverez une histoire personnelle de l’un de nos nombreux amis. Comme nous l’avons dit plus haut nous avons tous notre propre histoire à raconter. Nous avons le plaisir et l’autorisation de partager celle qui suit. 

Nous vous souhaitons à tous de bonnes vacances un et joyeux #chapati-day#.

Amour et paix à vous.

No Border Kitchen

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Lesvos

Une île oubliée de tous ou presque. La nuit nous nous asseyons sur la plage, le regard posé sur locean, en direction de la Turquie. Encore et toujours les mêmes nouvelles: 33 morts confirmés ce matin. Douze sont des enfants. A cet endroit, douze kilomètres séparent la Grèce de la Turquie, seulement six kilomètres à un autre endroit.

Quatre sortes de bateaux patrouillent le long de la frontière maritime: Les grecques, les garde-côtes turques, Frontex et NATO. Pour « protéger » les frontières selon leurs dires. Pourtant, les gens continuent de se noyer quasiment tous les jours.

Assis sur la plage à la nuit tombée, regardant les lumières chatoyantes provenant de l’autre côté, le rivage turque nous semble si près.

Pour nous, européens, c’est seulement une courte distance, pas plus de 6 euros par bateau, moins d’une heure de trajet. Pour ceux n’ayant pas eu la chance d’être né au “bon endroit au bon moment”, sans papiers européens, la trajet représente 1500 euros, beaucoup d’adrénaline, de panique, une constante incertitude quant à atteindre le rivage opposé, et la probabilité de chavirer à cause des vagues du ferry qui passe.

Un jour je me suis assis sous un figuier avec un ami. Amir, les larmes au yeux et la voix tremblante, me raconte comment la même femme le visite chaque nuit dans ces rêves. La même femme à qui il avait fait la promesse de s’occuper de son enfant lors de la traversée. C’est arrivé peu de temps après leur départ en mer. La dernière chose dont il se rappelle sont les cris désespérés de la mère, sonnant et perçant. Le bras minuscule et mince de la petite fille de quatre ans, son frère déjà perdu dans la mer noire qui engloutie si facilement son petit corps fragile et le tire vers le fond. Combien encore reposent au fond de l’océan?

” Enfin nous avons réussi”, se disent-ils quand ils arrivent, heureux d être toujours vivant.

Puis on discute avec ceux coincés sur l île depuis huit mois ou plus. Ils vivent à Moria, l’impopulaire et surpeuplé camp de recensement, où les petites tentes se juxtaposent les unes aux autres. La routine quotidienne consiste à faire la queue pendant des heures, en attendant de recevoir une petite portions de nouilles trop cuites, même si la plupart d’entre eux ne mangent même pas de nouilles.

Les bagarres s’observent tous les jours. Des personnes sans aucunes perspectives d’avenir, incertains sur la suite des événements pour les prochains mois, les prochaines années. Ils sont coinces sur une île oubliée. Traumatisme, misère inimaginable, parents perdus, histoires de guerres, persécution, mères en pleurs- chacun traîne son fardeau. Toutes et tous luttent avec leurs propres histoires, confinés dans un seul et même endroit.

Une nuit nous étions assis sur la plage, toujours autour du feu de camp, mangeant des pommes de terre grillées. Il est deux heures du matin, je reçois un appel d’un ami vivant à Moria: “…bagarres… Moria… feu”, la ligne coupe. On entend seulement des fragments de phrases, mais assez pour comprendre ce qu’il se passe. On saute dans notre van direction Moria. On essaye d’atteindre le camp par l’arrière à travers les bois. On ne peut se permettre d’être repéré par la police ou Frontex. Quatre d’entre nous se faufilent à travers les oliviers, croisant des groupes d’afghans nous reluquant avec de grandes barres de fer entre les mains. Un peu plus loin un autre groupe, cette fois des pakistanais, même situation. Intrigués, ils nous demandent ce que nous sommes en train de faire. Accompagné par un ami, nous entrons dans Moria à travers une des grilles. Une épaisse fumée envahissante nous encercle.

Des tentes continuent de brûler, l’odeur de plastique brûlé est omniprésente. La situation est tendue, tantôt belliqueuse, menaçante, effrayante, agressive et désespérée. Jambes cassées, visages couverts de sang, regards apathiques, un père essaye de garder les yeux de son enfant en pleurs fermés pour lui épargner le spectacle.

On transporte les gens en dehors du camp à travers le trou par lequel on est entré. Un ami a déjà ramené la voiture et nous attend, tandis que la plupart des personnes sont trop effrayés à l’idée de rencontrer des groupes hostiles et armés. On arrive à convaincre certains blessés de nous suivre. On les transporte jusqu’ à la grande tente médicale. Puis on transporte une famille nombreuse et lui trouve une place dans le camp familial. Les jours suivants les rues devant Moria sont remplies de personnes trop effrayées à l’idée d’y retourner, elles dormiront dehors.

Nous sommes la “No Border Kitchen de Lesvos”. No Border Kitchen est un concept- une idée, en réalité- où des personnes, quelque soit leur origine, leur religion, ou leur sexe, ont commencé à s’organiser en différents endroits à travers l’Europe dans le but de mettre sur pieds des infrastructures d’entre-aide.

Notre credo: non à l’homophobie, au racisme, au sexisme. Nos objectifs: Plus de frontières, plus frontières. Chaque groupe est complètement auto-géré, tout le monde a son mot à dire. Les décisions sont prises dans les réunions qui durent des heures, la plupart du temps par consensus. Les projets sont uniquement financés par des donateurs privés, et c’est pourquoi, en plus de notre combat quotidien, nous devons nous battre pour tenir le coup financièrement.

Quand je suis arrive sur l’île, la No Border Kitchen venait d’être délogée, le groupe était dévasté, beaucoup étaient parti. Nous n’avions nulle part ou accent aller. On a passe les premières nuits dans notre van, tous les sept. Puis on a trouve une vieille infrastructure militaire- une grande cour, un beau bâtiment ancien, un grand hall, beaucoup de petites pièces- tout semblait parfait. L’idéal pour un centre social, un endroit propice aux rencontres, où chacun a sa place, que ce soit nos voisins grecques, nos amis, des réfugies, des migrants, des activistes ou des touristes.

On emménage, et commence à nettoyer tous les jours les débris dans chaque pièce. Couverts de sueur et noirs de saleté, on se rassemble la nuit pour organiser les prochaines étapes. Lorsque arrive la question de savoir si l’on doit ou pas commencer un nouveau campement, le groupe est divisé, et pour quelques jours nous sommes seulement trois déterminés à continuer.

Lesvos est une île magique où la vie est constituée de hauts et de bas réguliers. On passe parfois de l’un à l’autre en l’espace de quelques heures, et seulement occasionnellement un jour passe sans que rien de complètement fou ou exceptionnel se produise. Les situations et les décisions peuvent changer en un rien de temps. Ici la politique est la vie quotidienne, et la vie quotidienne est politique. C est ce qui la rend vie si intéressante ici bas, mais également très difficile. Déchirée entre les principes, et l’écart entre le travail politique et l’aide humanitaire.

Un des temps forts est arrive lorsque, seulement quelques jours après la séparation du groupe, on eu la possibilité de reconstruire notre cuisine dans un autre endroit. Un état d’euphorie s est emparé de nous, et en seulement quelques jours de travail acharné, la cuisine était de nouveau opérationnelle. Nous avons ainsi recommencé à cuisiner. On distribue 600 repas par jours aux personnes vivant dans les bois et sur la route de Moria. Avec une température de 45 degrés dans la cuisine, on reste debout devant nos énormes brûleurs à gaz. Parfois en écoutant la musique à fond, ce qui mène inévitablement à des disputes quant au choix de la musique.

Nos amis du Pakistan nous rejoignent tous les jours, et leurs compétences en matière de cuisine dépassent toutes les attentes des activistes européens. Et ce même durant le ramadan, malgré l’interdiction de boire et manger. Pendant trois jours je m’efforce de jeûner à l’exception de la boisson, et résiste tout au long de la journée. En retour, ce moment du soir, où il est temps de briser le jeûne et que nous sommes tous assis dans la salle sombre, les bols de nourriture devant nous, est tellement plus précieux. Nous mangeons en silence. La nourriture est une marchandise précieuse, parler en même temps, est impoli.

J’arrive parfois au squat juste au moment où, de retour tard après les longues nuits de travail sur les e-mails et les pages d’accueil, à quatre heures du matin, il est temps pour un petit déjeuner constitué de chapatis.

La fraternité entre les gens ici est une expérience complètement nouvelle. «Désolé» et «Merci» sont absolument tabous. Les gens partagent et donnent ce qu’ils ont. D’eux, nous pouvons apprendre beaucoup. Peut-être ne sont-ils pas champions du monde de l’exportation, mais ils ont une communauté plus forte. Les valeurs qui leur tiennent à cœur sont la solidarité et la fraternité.

Notre première livraison de nourriture crée une ambiance incroyablement bonne. A peine deux semaines après que les brûleurs fonctionnent à nouveau, nous sommes arrivés avec trois heures de retard après avoir cuisiner généreusement.En au tournant au coin de la rue menant à Moria, nous pouvons déjà les voir. Une ligne, de plus d’une centaine de mètres de long, malgré la pluie battante . Lorsque nous arrivons, ils commencent à applaudir, certains d’entre eux à courir à côté de la voiture. Ils s’organisent en une ligne droite. Les bagarres pour la nourriture que nous redoutons ne se produisent pas.

Néanmoins, nous décidons d’arrêter de livrer de la nourriture à Moria peu de temps après. Ce n’était pas une décision facile à prendre. Mais nous ne voulions pas continuer à soutenir ce système. Un conflit entre l’aide humanitaire et les principes politiques, encore une fois. Ces deux composantes étaient figées en première ligne, un combat permanent. La fine ligne rouge le long de laquelle nous devions marcher chaque jour.

Notre plus haute maxime – tout le monde est égal; Il n’y a aucune différence entre nous et eux – est devenu notre plus grand dilemme. Qui est autorisé à passer la nuit dans le bâtiment que nous occupons? (Nous ne voulions pas construire un camp à ce moment-là.) Est-on autorisé à passer la nuit? Que se passe-t-il si la police débarque? Que ferons-nous avec les gens qui sont déjà dans un état vulnérable?

Lorsque nous recevons des informations douteuses selon lesquelles une expulsion militaire est sur le point de se produire, encore une fois, la question principale est de savoir qui est autorisé à rester et qui, pour sa propre sécurité, doit partir pour la nuit. Nous craignons toujours pour nos amis, sachant que les réfugiés et les migrants sont traités bien pire que nous, européens, cela est la stricte vérité. Mais à cause de cette situation, nous les traitons différemment, ce qui nous ramène au dilemme mentionné plus haut, à savoir que tout le monde devrait être traité de la même manière.

Des décisions ont été prise et renversées ou simplement oubliées. Parfois, on pouvait observer une étrange dynamique de groupe, rassemblant tout le monde, être ébranlée dans l’instant suivant. Les opinions des individus et du groupe changent parfois instantanément, se retournant complètement, faisant tout changer si vite sur Lesvos que rien n’est jamais comme prévu.

Moi-même, j’ai beaucoup changé d’avis, et à ce jour, j’ai encore honte parfois.

A certains moments, on pouvait sentir la motivation comme de l’air chargé d’ondes positives que nous pouvions tous respirer, et la voir emportée par le souffle du vent quelques minutes plus tard. D un seul coup l’étincelle a disparu et tout le monde s’est effondré. Alors chacun a du se ressaisir et reprendre la marche.

Nous avons essaye d’être soutenu localement. Nous avons fourni à la banque alpha une pétition avec des centaines de signatures. Mais le refus est toujours plus fort, plus fort encore est le silence de la foule, qui par peur des conséquences se courbe devant les puissants. Inspirer la peur et mettre quelqu’un sur la défensive est tellement plus facile que de prêcher l’espoir et l’humanité. Cela semble même être plus humain que le sentiment d’humanité.

Notre groupe est passé de 10 à trente personnes, des personnes nous rejoignaient fréquemment, la plupart d’entre eux pour deux ou trois semaines, des gens de tous horizons, des punks, des enseignants, des jeunes étudiants, des retraités, des chômeurs. Un groupe très diversifié,  des gens très intéressants. 

Après avoir arrêter de distribuer de la nourriture à Moria, nous avons recommencer à travailler sur la construction d’un centre social. Pendant des semaines nous avons nettoyé, fabriqué des meubles, pelleté des décombres. On a également collecter des donations de vêtements. Comme dans une fourmilière, nous étions tout le temps occupés.
Cela devenait de plus en plus bourdonnant et plein d’énergie. Entre temps, nous avons essayé d’acheter la propriété légalement à la banque alpha: interminables correspondances par courrier, réunions, entretiens avec les avocats. Et la police nous rendait visite, encore et encore. Il était de plus en plus difficile de se faufiler à travers le portail pour atteindre la route principale. 

Beaucoup de choses que nous avons faites n’étaient que partiellement légales, mais
chaque tentatives étaient réalisées avec beaucoup de vigueur et de motivation, et partaient d’une bonne intention. Toujours dans un esprit de solidarité avec ceux qui désirent une société plus juste, plus honnête et plus égalitaire, et qui veulent partager une part d eux-mêmes. 


Quatre jours. Après toutes les préparations nous avons pu rester ouverts quatre jours avant d’être expulsés par une vague destructive qui a fait tomber de nombreux projets sociaux à travers toute la Grèce. Quatre jours où des centaines de personnes sont venues pour rester au chaud, jouer a des jeux, se détendre, charger leurs téléphones, manger et boire. Dans l’espace réservé aux femmes on pouvait entendre des rires et des ragots, et pour une fois après plusieurs mois, les mères ont pu avoir un moment pour elles.

Et les enfants. Je n’oublierai jamais l’étincelle dans les yeux des enfants. Ces enfants qui vivent derrière des barbelés à Moria, fuyant des zones de guerres dévastées. Et les voila assis, en train de bavarder, de peindre, de fabriquer, d’escalader les toboggans et les balançoires dans la zone de jeux,  trébuchant et riant dans le grand hall.Ils présentent fièrement leurs nouvelles chaussures provenant de notre dépôt de vêtements. Sur beaucoup de leurs dessins on pouvait voir représenté les guirlandes pleines de couleurs, fabriquées à partir de vieilles pulvérisateurs, suspendues au mur.

Un centre social, pourrait-on dire, n’est pas essentiel pour la survie. Mais ce qu’il représentait les quelques jours où il était ouvert, vous n’auriez pu le comprendre que si vous aviez été sur place. C’était un refuge pour tous, surtout pour ces âmes tendres, qui durant leurs quelques années sur terre ont déjà traversé tellement plus que tout ce que la plupart d’entre nous n’avons jamais vécu.  

La vie où Lesvos est réduite où l’essentiel. C’est une très bonne expérience. Pas d’eau, pas d’électricité, et tout ce que nous considérons normal dans une maison. Lits, douches, nous avions des choses plus importantes à gérer.

Nous dormions sur des couvertures dans le bâtiment, par la suite à la belle étoile sur les plages.Quand nous avons finalement retrouvé un point d’eau nous avons fait une petite fête, un de ces tournants majeurs. Et pourtant la vie était beaucoup plus précieuse, tellement plus riche, et valait vraiment la peine d’être vécue.

Pendant longtemps j’ai pensé rester pour une année de plus et jusqu’à aujourd’hui je regrette tous les jours d’avoir quitté l’île. Nous sommes tellement attachés aux choses matérielles et disposés à abandonner tellement de notre personnalité. La sécurité avant la liberté, la richesse avant l’humanité.

Trois jours plus tard, nous avons eu une très longue et épuisante réunion avec notre avocat et le directeur de la banque Alpha. Discussions interminables, même s’il était clair que leur intention était de nous virer du centre social par tous les moyens possibles.

Mardi matin, 20 policiers sont venus au centre social. Nous avons appelé notre avocat, ça a encore pris des heures. Un couple de grecques, de bons amis à nous, est venu nous soutenir. Nous avons pu rester jusqu’à la tombée de la nuit et par chance personne n’a été arrêté cette fois-ci. Un jour de plus garanti au centre social. Puis les policiers reviennent et scellent la porte. Nous nous asseyons sur les toits avec des bannières, et protestons en silence. Prêt a tout subir, gaz lacrymogène, violence physique, mais rien ne se passe vraiment. C’était si déchirant de renoncer à tout ça, à ce centre social qui a donné un peu de bonheur à tant de personne.

Les semaines suivantes, nous avons déménagé à la plage juste en face du bâtiment que nous occupions, bâtiment où nous entrons encore et où des personnes de Moria vivent encore, où nous préparons toujours café et thé pour le nouveau camp sur la plage. Nous avons également ouvert notre salon de coiffure, accessible désormais par un trou dans le mur.

Le camp de protestation sur la plage se transforme en un centre social vivant. Les priorités ne sont plus les mêmes. Soudain, la vie quotidienne ne consiste plus à nettoyer, construire ou cuisiner. Désormais nous nous asseyons pendant des heures avec des personnes de toute origine. On pratique l’anglais ou on parle simplement. Une salle se crée où les gens se sentent à l’aise et commencent à reprendre confiance, un endroit où ils peuvent simplement partager leur histoire. Il est si important de parler simplement à quelqu’un et de partager ses histoires, toute la douleur, la honte, la douleur, le deuil, et de ne pas avaler tous ces sentiments qui vous rongent de l’intérieur.

Un jour, un jeune homme que je ne connaissais que depuis quelques jours vient vers moi et me demande s’il peut utiliser notre ordinateur portable un instant. Depuis quelques jours, nous en avions un à nous, un don de Hambourg. Je lui apporte l’ordinateur et je suis sur le point de courir pour les mille choses que j’ai encore à faire ce jour-là, quand il me demande avec des yeux très timides si j’ai une minute pour s’asseoir avec lui.À partir d’une clé USB, il ouvre un dossier. Vidéos d’une femme incroyablement belle, bougies brûlantes et ballons en forme de cœur. Puis l’Afghan assis à côté de moi apparaît à l’écran, il l’embrasse très doucement sur la joue. Après cela, beaucoup d’images suivent.

Je peux l’entendre sangloter à côté de moi alors qu’il passe les dossiers. Nous restons assis comme cela un moment. Des larmes coulent le long de son visage; Elle est toujours en Afghanistan. En raison de questions religieuses, ils ne sont pas autorisés à se marier. L’amour est sa raison de venir en Europe. J’aime la raison; L espoir d’épouser la fille de ses rêves en Europe, est assez grand pour supporter cette situation.

Un autre ami me raconte comment il a été torturé pendant six ans dans une prison iranienne. Encore et encore jusqu’à tomber inconscient. Des cicatrices profondes le défigurent de la tête aux pieds. Tout le monde veut simplement être libre. Aussi libre que nous sommes tous, sans jamais avoir eu à se battre pour ça. N’est-ce pas également leur droit ?

Mais nous avons aussi ces nombreux moments, ces nombreuses nuits où nous nous asseyons sur la plage et jouons de la musique. Presque tous les soirs, des amis musiciens proposent de faire un petit concert. On boit, on grignote, sur des couvertures et des nattes. Jusqu’à tard dans la nuit, on est assis autour des musiciens, on danse, on chante, on applaudi. On rigole, on boit, l’atmosphère est incroyable, tout ce qui nous entoure est comme oublié. Durant ce temps il n’y a que nous, tous ceux qui ont passé la nuit comme dans une bulle, et on se laisse aller pour un moment. La fête bat son plein. Avec les enfants roms on danse autour du feu qu’on a allumé sur la plage. On est comme dans un rêve. Tard dans la nuit les rires se répandent à travers l’obscurité.

On passe beaucoup de nuit à jouer de la guitare et à chanter au bord de l eau. Une autre nuit encore nous dansons jusqu’au lever du soleil dans une fête d’université, sous la pluie battante, on swing sur la piste, l’atmosphère est détendu et on se sent libre. Ici aussi la vie semble parfois normale.

Mais le centre social ne reste pas le même. Sous le soleil brûlant de l’été, exposés aux tempêtes et à la pluie, nous campons sur la plage, dormons à la belle étoile, et chaque nuit quelqu’un monte la garde. Ne pas tomber de fatigue sous toute cette pression a été une des choses les plus difficiles.

On a encore été virer de la plage. C’était le jeu du chat et de la souris avec les autorités. Quand on a pu parler avec les policiers, on pouvait voir que certains d’entre eux ont également eu de la peine à nous déloger du bâtiment. Un bâtiment vide depuis des années, une ruine qui, pour un instant seulement, avait recommencé à vivre. Tout en se débattant avec la vie de tous les jours, nous avons trouve une autre plage où s’installer.

J’ai quitté l’île il y a quelques semaines. En réalité on ne peut pas vraiment quitté l’île, jamais. Le travail à accomplir ici est sans fin. Sur la plage, les volontaires sont toujours présents et continuent de faire ce qu’ils font le mieux, à donner tout ce qu ils ont. Certains partent, d’autres arrivent. Ainsi va la vie sur Lesvos. Magique, épuisante, toujours changeante, inspirante, déprimante, incroyable, saisissante.

Les adieux faisaient parti de la vie de tous les jours. Tous les dimanches, certains essayent de rentrer dans des containaires, assis parfois pendant plus de seize heures entre des pneus de voiture et des barres de fer, en essayant de rester silencieux, dans la chaleur, sans eau, sans pouvoir bouger d’un seul centimètre. On les voyait parfois revenir à quatre heures du matin. Manifestement, tabassés par la police, ils avaient été repérés, encore.

Il fut un temps où une vague de panique s’est répandu d’Idomeni jusqu’à Lesvos. Quand Idomeni a été évacue, beaucoup de personnes ont été placés en centre de détention. Sans aucun contact avec le reste du monde, ils vivent ici. Aucun membre de la famille, amis ou volontaires sont autorisés à rendre visite. 30 personnes par chambres, surveillance 24 heures sur 24, appareils photos et portables confisqués par la police. Une nuit, plus de 60 personnes ont disparu du jour au lendemain, parmi lesquels de bon amis. On a appris plus tard qu’ils avaient également été placés en centre de détention. Pour certains d’entre eux, cela fait plus d’une année maintenant qu’ils sont coincés dans ces centres.

Beaucoup de choses se passent en secret, derrière tout cela on peut reconnaître la signature des politiques européennes concernant l’asile. Cela n’a rien à voir avec les grecs, la plupart d’entre eux sont des gens admirables, beaucoup luttent contre le déclin du tourisme du à la crise des réfugies et la crise économique, et malgré tout cela j’ai pu observé une grande hospitalité et beaucoup de chaleur humaine.

Si vous marchez dans les rues de Lesvos la nuit, vous pouvez sentir le pouls de la vie, les touristes chics qui passent, la musique forte, la bière et le vin. La vie prend place les rues. Le temps passé à Lesvos a clairement été une leçon de vie importante. On apprend beaucoup, beaucoup sur les autres, sur les différentes manières de vivre, de penser, et sur les perspectives de vie. Lorsque vous sortez de votre zone de confort pour vous ouvrir à de nouvelles perspectives, vous réalisez soudainement combien petit vous êtes par rapport à la complexité de la vie. Mais avant tout on apprend beaucoup sur nous-mêmes, et comment repousser ses limites.

A un certain moment, j’ai été envahi par un sentiment d’inertie terrifiant en reconsidérant la situation toute entière et ma propre personne. Dormir sur les plages, les vols de téléphones, de générateurs, les expulsions, les discussions avec les avocats, les gens du pays ou les gestionnaires de la banque Alpha – à un certain point, j’étais émotionnellement vidé, rien ne bougeait à l’intérieur de moi.

Ce qui reste après tout ce temps passé à Lesvos ? Des amitiés. Des amitiés profondes, qui ont en partie fonctionné sans même pouvoir parler dans une langue commune, mais provenant d’une seule et même âme. Ces amitiés sont tout ce qui reste. Peut-être est-ce la façon dont nous sommes sensés agir, comme décrit dans le Bouddhisme : La leçon sur le « moi » tel une pierre frappant la surface de l’eau, créant d’abord de petites vagues, puis des vagues de plus en plus grosses. Comme ces amitiés qui ont créé ce groupe inséparable, peu importe les barrières et les murs. Peu importe la militarisation des frontières et comment on les protège, ces amitiés seront toujours de plus en plus fortes.

C est ce qui donne l’espoir et la force de continuer, et un jour cette force sera capable de briser les barrières. Un jours ces amitiés formeront un réseau tellement puissant duquel naîtra un mouvement social devenu inarrêtable.

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